Dès la Laetare passée, une véritable
fièvre s’abattait sur les ménagères. Il était important que, pour
Pâques, leur maison brille comme un sou neuf de la cave au grenier.
C’était, dans chaque demeure, un ballet de brosses et torchons,
des effluves de savon noir et d’ammoniaque.
Tout devait être terminé avant le
Jeudi Saint car d’autres occupations les attendaient : leur
participation aux offices.
Il fallait, ce jour-là, aller
d’église en église, adresser une prière au Saint Sacrement
exposé au milieu des fleurs pendant toute la journée.
Quelques moments de recueillement et
puis l’on passait à l’église suivante.
Le but était d’en totaliser sept
sur la journée pour obtenir une indulgence plénière, celle qui
sortait l’âme d’un défunt très cher du purgatoire pour
l’emmener au paradis. Toute une comptabilité !
Il y avait, dans la rue, un mouvement
incessant de promeneurs.
Les commerçants qui avaient, eux, été
atteint de la même fièvre que les ménagères, avaient élaboré,
après grand nettoyage, de splendides étalages pour présenter
leurs collections de printemps à toute cette foule attendue de
promeneurs occasionnels.
Chacun rivalisait d’originalité et
de prestige dans ses étalages, mais la palme appartenait aux
bouchers et pâtissiers.
Les bouchers avaient connu un recul
des ventes pendant le Carême , profitable surtout aux
poissonniers et crémiers. Pendant cette période plus creuse,
ils avaient créé des présentations artistiques pour valoriser
leurs produits.
A côté des plus belles viandes, bien
rouges, qui faisaient saliver les passants, on trouvait des
montages de charcuterie, mêlant pâté de foie et saindoux dont ils
faisaient des tableaux, des sculptures, tout ce que leur avait
suggéré leur imagination.
Il y avait un maître, dans ce
domaine, rue de l’Ange, dont personne
n’aurait voulu manquer l’étal.
Je me souviens aussi d’une grande
boucherie rue de Fer, à l’angle de la rue des Croisiers, qui
avait créé, dans son hall, un parc avec de jeunes brebis et leurs
agneaux, tout mignons, faisant la joie des citadins qui
s’émerveillaient de leurs ébats.
Ils sortaient leurs œuvres, en
général, en cours d’après-midi du Jeudi.
En même temps que les pâtissiers
qui, eux, arboraient leurs gâteaux et montages en chocolat, leurs
œufs multicolores de toutes tailles, garnis d’autres douceurs et,
souvent, une multitude de poussins artificiels semblant picorer dans
l’étalage.
Ces évènements, religieux comme
profanes, amenaient en ville la foule des grands jours, compensation
à la période sévère du Carême et de la Semaine Sainte, souvent
pluvieuse et froide, que l’on appelait d’ailleurs en wallon «Li
pèneuse sam’winne ».
Le lendemain, Vendredi Saint, il était
interdit de consacrer et donc il n’était pas prévu de messe.
Mais à 3 heures, heures de la mort de Jésus, un chemin de croix
très suivi.
Il était recommandé aux enfants
silence et recueillement en signe de deuil : pas de grands cris dans
leurs jeux, pas de musique à la maison.
C’est tout juste si l’on ne nous
demandait pas de pleurer la mort de ce Christ dont nous avions,
certes, pitié, tout en connaissant depuis longtemps la fin de
l’histoire, la Résurrection, qui, pour nous, enlevait un peu de
sérieux au drame… puisque il finissait bien.
Ce Vendredi Saint, il était conseillé
aux mamans de cuire pain ou pâtisserie et surtout, surtout,
de ne pas lessiver.
En cause, une légende qui racontait
que le Christ, chargé de sa croix et montant au calvaire, avait
rencontré d’abord une lavandière qui lui avait jeté un seau
d’eau sale. Tandis qu’une autre femme, compatissante, occupée à
cuire son pain, en avait coupé une miche pour la lui donner.
D’où un proverbe : «Bénie soit la
femme qui cuit, maudite soit la femme qui lave»
Que toutes les femmes, croyantes ou
non, appliquaient avec une rigueur mêlée de crainte.
J’en ai connu qui ont pleuré devant
une lessive entreprise par inadvertance, ou qui ont abandonné ce
travail en cours quand elles réalisaient la date fatidique. Monique
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